mercredi 11 juin 2014

OTAN / Alliance atlantique : l'influence, comment cela se passe ?

"Intensifier notre influence au sein de l'Alliance". Sympathique axe d'effort, mais au quotidien comme cela se passe ? Une fois déclaré qu'il faut le faire sans perdre "notre liberté de décision et d’action et encore moins de diluer le caractère national de notre défense", quels sont les moyens et modes d'action mis en place ? Car, en effet, l'influence se construit et non se décrète.

Ces moyens peuvent être assez obscurs pour le quidam sans l'étude d'un cas concret sur lequel s'appuyer, des exemples rarement rendus publics, pas tant pour des raisons de confidentialité (dans la majorité des cas) que pour un intérêt en soi limité pour une majorité de personnes.
Trois récentes publications permettent de comprendre un peu mieux le cadre général et les actions menées pour parvenir à un tel objectif (partant du niveau stratégique jusqu'au niveau tactique), et ainsi rentabiliser notre investissement (parfois un peu opaque...). Même si cela est un peu aride, on s'accroche pour suivre !
 
1/ Un collectif de "cadres supérieurs de défense" (des officiers donc ?) a récemment publié une (intéressante) tribune sous pseudonyme dans la Revue Défense N@tionale intitulée "Quelle stratégie française envers l'Alliance en 2014 ?". Elle permet de donner le cadre général de réflexion et d''action.
 
Prenant comme postulat de départ que "la question ukrainienne" n'est qu'un défi parmi d'autres (et sans doute pas le plus important) pour le devenir de l'Alliance à quelques années de la fin de la mission structurante/existentielle en Afghanistan, ils listent un ensemble d'enjeux auxquels la France doit répondre en défendant sa posture spécifique et en défendant dans l'Alliance ses intérêts.

Il s'agit notamment :
  • de la relation euro-atlantique et de son équilibre sans doute moins dicté et à sens unique (en jouant sur les relations de bon niveau sur certains théâtres entre la France et les USA pour obtenir des concessions doctrinales ou capacitaires) ;
  • de la gestion de la fin (partielle ?) de l'ère expéditionnaire et du partage de la misère sur le plan capacitaire en Europe, notamment en jouant sur la capacité d'entraînement française (du fait du maintien à niveau de notre outil de Défense, de manière relative par rapport aux autres) ;
  • de l'intérêt porté à certains flancs de l'Alliance non plus seulement regardante à l'Est, mais aussi au Nord ou au Sud (ce qui rejoindrait, pour ce dernier point, beaucoup plus les préoccupations géopolitiques françaises) ;
  • du maintien de l'Alliance pour ce qu'elle doit être fondamentalement, une alliance militaire qui ne doit pas réinventer des missions (dans d'autres espaces notamment), coûteuses et en concurrence par rapport à d'autres structures.
2/ De ces considérations politiques générales (l'Alliance, bien qu'à vocation militaire, est un objet politique propre), des déclinaisons spécifiquement militaires existent (centres d'excellence, posture "déployée" à posture "d'alerte", initiative "connected forces", etc.) notamment sur le plan doctrinal. Elles sont elles-mêmes déclinées au sein de chaque armée, dont l'armée de Terre.

 
Le Centre de doctrine d'emploi des forces (CDEF) a consacré son dernier numéro de "Réflexions tactiques" à l'armée de Terre française et l'OTAN, offrant un guide (très) pratique pour comprendre l'organisation en pleine réorganisation, notamment via des témoignages français et aussi étrangers de personnels travaillant ou ayant travaillé en son sein.
 
 
Après les premiers articles assez généralistes (avenir de l'OTAN, approche du LBDSN), les suivants abordent l'action de la France, les intérêts que la France doit défendre (en rentabilisant son investissement), la manière de procéder (au niveau macro - sommets, etc., et micro - doctrine, etc.) pour bâtir ce guide pour l'action qu'est la doctrine (La doctrine : pourquoi ? comment ?).
 
Pour le dernier point, il s'agit d'articuler l'action des différents acteurs (CICDE et centres d'expertise de chaque armée) pour obtenir la performance en coalition (interopérabilité), via des travaux doctrinaux qui seront des références externes (via nos alliés) et internes (au sein des armées), cohérents avec les autres corpus (national, européen, franco-britannique, etc.).

La défense de la voix française (en plus du maintien d'un socle national vivant, toujours nécessaire car l'OTAN ne traite pas de de tous les sujets) est un enjeu de 1er ordre, tout comme la capacité à être force de proposition pour des sujets peu traités, et où la France dispose d'un savoir-faire (assistance militaire opérationnelle, récupération des personnes isolées, convoi en opérations, contre-insurrection). Cela permet alors de justifier et de faire comprendre certains particularismes, comme ce fût le cas durant les opérations en Lybie pour l'emploi des hélicoptères "à la française".

Une politique d'influence est ainsi mise en place, avec la définition des postes à valeur ajoutée à occuper, la participation au juste niveau aux groupes de travail (expliqués en détails dans le document) ou panels (celui relatif à la terminologie, par exemple), le suivi de la ratifications en l'état ou non des documents (page 54 et suivantes), etc.

Enfin, à partir de la page 104, la vision de quelques partenaires (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne...) montre l'approche choisie sur le degré d'intégration au sein de la doctrine de l'OTAN, tout en maintenant une réflexion doctrinale nationale prenant en compte certains spécificités (les plus intéressantes à relever : règles d'engagement, processus de planification, etc. ).

3/ Au niveau encore plus micro, qu'est ce que cela donne ? La mise en ligne fin 2013 d'une réflexion doctrinale interarmées sur la Military Police permet de comprendre le travail préparatoire permettant de construire une position au niveau national (surtout lorsque la transposition d'un sujet au sein des armées françaises est loin d'être évidente), cet exemple ayant malheureusement que peu de conséquences industrielles directes pour être parfait...

L'expression de Military Police, universellement non reconnue de la même manière (aux USA, Australie Brésil, Finlande, etc.), est relativement étrangère aux forces armées françaises, recoupant des notions éclatées en France au sein de différentes fonctions, mandats et structures (conseiller sur les questions de police, justice militaire, forces de police au statut militaire, etc.).

L'OTAN souhaitant rédiger un document-cadre (dépassant une 1ère approche très fonctionnelle), le CICDE (Centre interarmée de Concepts de Doctrines et d'Expérimentations) s'est donc intéressé à cette question, rappelant les réserves émises avant la ratification d'un premier document , les missions de MP étant parfois, dans le modèle français, confiées à des unités de logistique, aux prévôts, etc.
 

Le CICDE a ainsi relevé que de manière pragmatique la posture française avait évolué selon les besoins, des personnels français ayant des fonctions recouvrant certaines missions de MP (Provost Marshals ou conseillers auprès de forces locales, par exemple). La politique de la chaise vide dans les cercles de réflexion sur ce sujet ne se justifiait donc plus, et des mesures ont donc été prises.

Des officiers de Gendarmerie ont donc été insérés dans les groupes de travail, ont participé aux conférences préparatoires, etc. A cela, s'ajoute la définition d'une position française (définition, lignes rouge, etc.) servant de base de discussions, et permettant de faire connaître et prévaloir l'expérience française (notamment en phase de stabilisation et d'assistance aux forces locales).

Enfin, une dernière partie est consacrée aux enjeux pour la France de mener plus en avant une réflexion sur le sujet, en présentant les avantages et les inconvénients potentiels de plusieurs scénarios (création ou non d'un corps permanent ou de circonstance de police militaire française, etc.), ainsi que les modifications nécessaires (RH, finances, structures, etc.).

PS : une heureuse nouvelle familiale explique et expliquera pour encore quelques temps le rythme un peu fluctuent des nouvelles publication sur ce blog...

Aucun commentaire: