jeudi 2 juillet 2015

Irak - Parce qu'il est loin de n'y avoir que des aviateurs dans l'opération Chammal (addendum) (+MAJ)

Depuis près de 6 mois, des militaires français issus d’unités conventionnelles entraînent, forment et conseillent des militaires irakiens (et/ou kurdes) directement sur le territoire irakien, principalement dans les environs de Bagdad et d’Erbil. Trois mois après la rédaction d’un premier point sur ce volet particulier de l’opération Chammal (cf. ici et ), où en sont-ils ?
 
Contrairement à d’autres pays européens qui n’hésitent pas à mettre en avant l’action de leurs formateurs (Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, même l’Allemagne…), ne limitant pas la couverture des opérations aux seules frappes aériennes et missions de renseignement, les autorités militaires françaises n’accordent pas d’autorisation de reportages sur le sujet (pourtant plusieurs fois demandées par des journalistes). Les informations restent donc parcellaires.
 

Pourtant, avec le départ mi-avril du Golfe Persique du groupe aéronaval autour du porte-avions Charles De Gaulle, et avant son très probable retour dans la zone (probablement avant la fin de l’année), les formateurs présents sur le sol irakien (hors forces spéciales, rarement comptabilisées) représentent, en étant de l’ordre de 130 militaires (et potentiellement jusqu'à 200), presque 20% des effectifs de l’opération Chammal. Un nombre de personnels issus de l'armée de Terre, loin d’être anodin.

Cet effort place la France dans le milieu de la liste des contributeurs, derrière les Etats-Unis avec 3.350 militaires déployés (instructeurs et responsables de la Force Protection) ou les pays ayant envoyés quelques 200 à 300 militaires comme l’Australie, la Grande-Bretagne (275) ou l’Espagne, au même niveau que ceux qui sont entre 100 et 200 comme le Danemark, l’Italie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada, et devant ceux qui sont moins d’une centaine comme l’Allemagne, la Belgique (30) ou la Norvège.
 
Recycler et instruire les futurs formateurs de l’ICTS

Auprès de l’Iraqi Counter Terrorisme Service (ICTS), les formations sont menées non loin de l’aéroport international de Bagdad. Elles se concentrent sur l’instruction au combat en zone urbaine, le sauvetage au combat et la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED). Après une première session au mois de mars avec une cinquantaine de stagiaires irakiens, toutes les 4 semaines environ, 300 nouveaux stagiaires irakiens suivent des recyclages dans ces différentes spécialités. 1.000 stagiaires ont ainsi été formés depuis début mars.

Pour le moment, les quelques 25 militaires français ne semblent pas concernés par la difficulté rencontrée par les militaires américains : un faible nombre de nouvelles recrues irakiennes recrutées à former ou des militaires, sur-employés, qui ne peuvent être retirés du front pour suivre ces instructions. Mi-mai, le secrétaire à la Défense américain indiquait que sur les 24.000 militaires irakiens qui devaient être formés, seulement 7.000 l’avaient déjà été, et 3 à 4.000 étaient en cours de formation.

En plus de formations plus spécifiques aux techniques commandos, et du conseil auprès de l’état-major de l’ICTS par certains membres des forces spéciales (COS), l’objectif auprès de ces unités est de prévoir dès maintenant le plus long terme et la recherche d'autonomie (anticiper un désengagement, même si il est loin). Il s'agit de préprarer, via un processus de transfert de compétences maintenant bien rodé, la formation des formateurs irakiens, pour qu’ils puissent à leur tour dispenser par eux-mêmes des formations.
 

En novembre 2014, membres des forces spéciales présents à l'état-major de l'ICTS, sans doute pas pour étudier l'ornithologie en Irak... (source : vu sur Twitter).
 
Conseils et formations spécialisées auprès de la 6ème division

Auprès cette grande unité qu’est la 6ème division, les missions des militaires français consistent à appuyer la préparation et à la planification de missions d’état-major, ainsi qu’assurer la formation de moniteurs dans le combat en zone urbaine, le sauvetage au combat, la lutte contre les IED et la gestion logistique (et mécanique) du matériel roulant (souvent très mal entretenu) des brigades de l'unité.

Quelques 300 moniteurs auraient été formés dans ces spécialités, notamment dans la zone d’Abu Ghraib (au Nord-Est de l'aéroport de Bagdad), où est stationnée une partie de cette division. Parmi eux, le Service de Santé des Armées, via une équipe composé d'un médecin, un infirmier et deux auxiliaires sanitaires, a formé une quarantaine d’infirmiers irakiens en deux semaines, et a débuté la formation de 40 autres.
 
 
Malgré ces premiers efforts, le général Hussein Mashi, deputy commander de la division, n'hésite pas à rappeler les faiblesses toujours actuelles de son unité en renseignement, en entraînement, et en armement (ce dernier point pesant sur l'entraînement, qui ne peut être effectué dans de bonnes conditions faute d'armes en nombre suffisant).

Du conseil… et de l’accompagnement au combat avec les unités kurdes ?

La formation menée à Erbil (Kurdistan) reste peu couverte, notamment parce qu’elle est le fait principalement de forces spéciales (mais pas seulement), notamment avec la garde présidentielle kurde. En complément de ce volet, et confirmant d’autres informations, le groupement de forces spéciales (GFS) assurerait également des missions plus offensives, de recueil de renseignement, voire d’accompagnement au combat, notamment pour du guidage aérien.

Ainsi, le New York Times a rapporté mi-juin la présence d’une « équipe française » à  une cinquantaine de kilomètres au Sud-Est de Mossoul directement sur la ligne de fronts. Cette équipe, sans doute de contrôleurs aériens avancés, a permis de guider un appareil de la coalition internationale (dont le type et la nationalité sont non précisés) sur un avant-poste tenu par l’organisation de l’Etat Islamique et qui menaçait des unités peshmergas.

Une mission partie pour durer (longtemps)

Un an après la proclamation du califat de l’Etat islamique, et plus de 9 mois après les premières opérations de la coalition, l’organisation a subi des revers au Nord, à l’Ouest et au Sud-Ouest sous les coups des combattants kurdes et des milices chiites notamment, tout en s’emparant de quelques points clés, le plus symbolique étant Ramadi. Les opérations prévues de reconquête, notamment de Mossoul, ont été remises à plus tard, faute de forces de sécurité irakiennes correctement préparées.

La prise de Ramadi en mai mettait d'ailleurs les formateurs français situés à l’Ouest de Bagdad à moins de 80 kilomètres des premières lignes tenues par l'EI. Leur sécurité, que notamment d'autres membres de la coalition assurent, n’a semble-t-il jamais été menacé par des tirs indirects (roquettes, mortiers, etc.) ou directs (attaques principalement suicides), contrairement aux instructeurs américains et australiens dont certaines bases sont plus nettement menacées.

La pérennisation dans le temps de l’opération Inherent Resolve, de son volet français, Chammal, et de cet effort de formation ne fait que peu de doutes tant l'ampleur de la tâche est important (et les efforts politiques sont lents, notamment l'inclusion de toutes les communautés par le gouvernement irakien). Poursuivant cette opération, malgré le manque d'unité de temps et d'espace, et de priorisation dans l'ensemble des opérations menées de manière concomitante (Sahel et ailleurs), La France pourrait même prochainement renforcer ponctuellement son offre de formation.

Une prochaine visite du ministre de la Défense française en Irak (et au Kurdistan) au mois d’aout, soit presqu'un an après le lancement des premières opérations notamment par les forces spéciales au Kurdistan, pourrait être l’occasion de confirmer ce mouvement. En plus de mettre en avant de nouvelles livraisons d’armes promises depuis plusieurs semaines : missiles anti-chars MILAN, mitrailleuses lourdes, etc.

Quoiqu’il en soit, les relèves ont récemment été effectuées pour les détachements arrivés en janvier et fin février, ceux issus de la 13ème DBLE (unité composée de tournants du 2ème REP et du 31ème RG, qui assurera l’auto-relève d'un détachement, sauf si son déménagement en France, évoqué avec insistance, se confirme), et ceux de la 3ème brigade légère blindée remplacés par des personnels de la 27ème brigade d’infanterie de montagne (avec le 2ème REG notamment).

MAJ 1 : depuis une semaine, les articles du ministère de la Défense mentionnent le double volet de l'opération Chammal (appui aérien et formation), ne sous-estimant plus donc plus l'apport de quelques 20% des effectifs déployés. Comme quoi à force que certains en parlent ici ou ailleurs... Il ne manque plus maintenant qu'une même prise en compte se fasse dans la sphère médiatique.

Aucun commentaire: