mardi 16 février 2016

Retour d’expérience post-attentats - De l’art et de la manière d’évoluer (+MAJ)

Ils sont passés. Plusieurs fois même. Ils ont fait mal. Très mal même. Pour cela, ils ont profité d’une ou plusieurs failles. Presque plus personne ne le nie. A part certains irréductibles. Qui, pourtant, à raison, dans le même temps, tentent, de manière visible ou non, de réparer ces failles en évoluant, preuve a posteriori qu’elles existent.

D’ailleurs, reconnaître ces failles, connues ou non à ce jour des praticiens comme des autres, n’est en rien dénigrer le travail réalisé jusque-là, l’investissement hors normes de certains. Il est seulement la 1ère étape d’un processus cyclique d’adaptation (recueil, analyse, exploitation, diffusion, suivi, recueil…), pour le bien supérieur de tous. Comprendre n'est ni forcément excuser ou accuser.
 

Fondamentalement, il s’agit de s’adapter ou disparaître selon une approche toute darwinienne de l’évolution de nos sociétés, d’une manière générale, et, plus particulièrement, des sentinelles (acteurs de la sécurité et de la défense, entre autres) censées nous protéger lorsque les événements et les réponses dépassent les compétences strictes de chacun. Ne pas tout attendre d’eux (cf. le cas de la diffusion des gestes qui sauvent), mais ne pas rien en attendre.

Pour poursuivre sur cette évolutionnisme particulier, il s’agit de devenir les plus aptes à survivre dans cet environnement de dialectique des volontés (c’est-à-dire "une guerre"), plus subie et imposée que recherchée et non stricto sensu déclarée, entre deux parties (pour simplifier à l’extrême).

Or il ne s’agit pas ici d’évolutions incrémentales dans des conditions pures et parfaites de laboratoires (en partant d’un existant et en le modifiant à la marge, plus que bien souvent par des ruptures fortes). Mais bien de faire avec la nature inchangée de cette dialectique dont seule la forme évolue. La guerre est une activité humaine, donc profondément imparfaite et faite de stress, d’oublis, d’imperfections, d’incertitude (le « brouillard de la guerre » clausewitzien), etc. Donc d’erreurs, que tous les outils et autres adjonctions techniques, même les plus poussés, ne parviendront pas à empêcher totalement.

D’autant plus que, si il y a dialectique, il y a deux parties. Les uns et les autres évoluant, pas forcément de manière synchronisée, selon "la loi fondamentale de cette dialectique qui est la loi du contournement" (cf. à nouveau Clausewitz). A une ancienne ou nouvelle mesure, l'autre recherche et parfois trouve le moyen de la contourner via l’adaptation permanente, jamais figée.

Il s’agit ici non pas de minorer ou négliger certains faits, certaines décisions, certaines responsabilités. Mais bien a minima de les comprendre et les étudier dans leur globalité. De replacer l’homme dans son élément avec les données matérielles, organisationnelles, doctrinales, de commandement, etc. D’y plaquer des grilles d’analyse où l’approche systémique est prise en compte, bien que complexe et exigeante, mais nécessaire.

De les étudier avec le réalisme qui conduira à reconnaître qu’il y a souvent plus des choix à faire entre deux maux, qu’entre un pur bien et un pur mal. Que chaque décision conduit à des effets négatifs qu’ils ne sont pas, à un certain niveau donné, des freins bloquants mais des données à prendre en compte et à réduire le plus possible.

Que l’adaptation est faite d’essais pouvant conduire aussi bien à des échecs que parfois à des réussites. Qu’une réussite à T+1 peut conduire à des effets bien supérieurs à plusieurs tests finissant en échecs à T-1 ou T. Que rien n’est définitivement acquis du fait de cette dialectique.
 
Que la friction, cette différence "en gros" (selon la formulation de Clausewitz) entre "la guerre réelle" et "la guerre sur le papier" ne peut être négligée dans nos jugements, dès lors que, dans une logique de résultats autant que de moyens, elle aura été réduite au mieux via l’improvisation, l’apprentissage, l’adaptation, l’anticipation.

Il s’agira finalement de comprendre qu’exiger un « zéro défaut / erreur » (tiré, en grande partie, dans l'imaginaire des "séries policières", dites, à raison, de fiction) pour les services de sécurité est tout aussi illusoire (et parfois dangereux, car annihilant certains décisions de peur de mal faire) que la recherche d’un utopique "zéro mort" à la guerre. Si la guerre tue, hélas,, oui, également, l’humain fait des erreurs.

Dans cette analyse, plus que souhaitable des faits passés (via par exemple, une commission d'enquête parlementaire, comme un moyen mais pas une fin), il sera nécessaire dans la forme d’exiger un travail rigoureux, de tous les acteurs (audités, auditeurs, rapporteurs, journalistes, observateurs, etc.) une remise en perspective contextuelle, une qualification à sa juste mesure des déclarations, un recoupement des affirmations s'appuyant sur une connaissance des faits, un ton mesuré dans les critiques (positives et négatives), etc.

Il s’agira de suivre un processus scientifique rigoureux d’analyse, où la lecture, entre autres, de certains ouvrages pourrait être une base pour sa crédibilité comme pour son honnêteté, via des notions quasi incontournables sur de tels sujets. Du "De la Guerre" de Clausewitz à "Décider dans l’incertitude" de Vincent Desportes, en passant par le retour d’expérience presque "à chaud"  du général qui commandait les sapeurs-pompiers de Paris lors des attentats du 13 novembre, de "Apprendre et disparaître ?" de Corentin Brustlein ou de l'ouvrage "Sous le feu" de Michel Goya. Et évidemment d'élargir ces quelques références illustratives à d'autres secteurs aussi (voir plus) pertinents : médecine, management, diplomatie, etc.

Ainsi, dans l’information comme dans l’analyse, et selon le respect du principe de subsidiarité (technique, mais sans doute plus encore politique), il s’agira d’y mettre la forme nécessaire pour que cette introspection collective permette réellement une meilleur résilience. Non pas un retour à l’état avant le choc (qui conduirait peu ou prou au retour d’un nouveau choc, puisque généralement aux mêmes causes les mêmes effets), mais bien une nouvelle configuration du système permettant de réduire la probabilité de futurs chocs, tout en offrant une meilleure résistance de la société.

Avec vigilance et exigence, faisons tout pour ne pas rajouter à ces failles, une nouvelle faille dans le processus de retour d’expérience, en le rendant inutile par son fond et par sa forme, voire même dangereux.

MAJ 1 : comme le signalait une commentatrice, il est également nécessaire dans nos jugements de réussir à saisir la complexité de la différence entre "erreur" et "échec" dès lors qu’il s’agit de phénomènes sociaux, qui ne peuvent être étudiés, de manière satisfaisante, selon une approche binaire : échec ou réussite. Dans le cas présent, il est ainsi nécessaire, pour chaque niveau de responsabilité, de saisir cette différence à la fois dans l’acte mais également dans le raisonnement qui conduit à l’acte. Et au final, de jouer ou non là-dessus pour nos jugement les procureurs souvent très affirmatifs.

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